Vinyles : la musique charnelle
Vinyles : les tubes, les pochettes, les labels
de Mike Evans, Gründ, 2016, 256 p.
Face au moche CD et au triste MP3, le
33 tours vinyle réussit aujourd'hui un remarquable come-back. Ses
atouts : sa sensualité, sa chaleur, sa matérialité
rassurante. Retour avec Mike Evans sur un objet ultra-iconique.
Finalement, le disque vinyle aura survécu. Quinze ans après les débuts de sa descente aux enfers, la légendaire galette noire de 12 pouces a repris des couleurs. C'est aujourd'hui un produit chic dont les ventes explosent. Car le 33 tours est bien davantage qu'un simple support d'enregistrement, c'est une culture, une philosophie à part entière comme le rappelle opportunément « Vinyles » du journaliste anglais Mike Evans. L'ouvrage - superbe - s'adresse bien sûr aux passionnés, à tous les Mohicans qui ont vécu douloureusement les années de vaches maigres des années 2000. Mais il intéressera également les amateurs de saga technologiques, les curieux en tout genres, et pourquoi pas, quelques mélomanes.
Le disque tel qu'on le connaît est un objet technique remarquable. Né en 1948 des équipes de recherche de Columbia, le 33 tours vinylique va éradiquer en quelques mois l'antique 78 tours en gomme-laque (le shellac), fragile et ne supportant guère plus de 3 à 5 minutes d'enregistrement par face. Pour lancer son innovation, le patron de Columbia Edward Wallerstein entra en conférence de presse avec une petite pile de 33 t sous le bras, l'équivalent musical de la tour de 2 m 50 de 78 t empilés sur le côté de la scène. Devant une assistance de journalistes médusés, le LP (long player) était né.
Concurrence féroce, créativité explosive
Les seventies rock constituent sans aucun doute l'apogée commercial et graphique du vinyle. Pourtant, c'est grâce à la musique classique que le produit s'est imposé. Désormais libérées du format contraignant du 78 tours, des oeuvres longues pouvaient être écoutées sans être tronçonnées en de multiples disques reliés en « albums » (le terme est resté). Mais ces séduisants LP ne sont pas pour toutes les bourses. Dès la fin des années 40, RCA, l'ennemi juré de Columbia, lance le modeste 45 tours qui connaîtra un succès phénoménal jusqu'aux années 80.
Le ton est lancé : l'heure est à la concurrence féroce et à la segmentation du marché. Ainsi se créent d'innombrables labels dont certains resteront mythiques comme Blue Note pour le jazz, Motown pour la soul ou Atlantic dès les premiers temps du rock'n'roll.
Au fil des ans, la technologie s'affine et la créativité explose. Les années soixante voient la naissance de la stéréo et du double album (« Blonde on blonde », Bob Dylan, 1966) ; désormais, la barre de l'heure enregistrée est dépassée tant est maîtrisée la technologie du microsillon. Après l'explosion psychédélique, les innovations artistiques fleurissent. C'est l'heure des braguettes warholiennes, des pochettes pop up, des pictures disc et autres fantaisies formelles.
Dans les années 70, l'objet est tellement populaire qu'émerge un véritable marché pirate : le live bootleg. Pour les demi-dieux de l'époque comme Led Zeppelin ou Pink Floyd, le catalogue de concerts non-officiels se compte par dizaines. Ultime dévotion : le microsillon est envoyé dans l'espace avec le programme de sondes spatiales Voyager. Aujourd'hui encore, Mozart et Chuck Berry accompagne l'artefact humain le plus éloigné de son berceau terrien.
Contre-cultures
Evidemment, tout se gâte avec l'apparition du compact disc au mitan des années 80. La galette vinylique est ringardisée par ces mêmes compagnies qui hier encore en tiraient fortune. La situation s'aggrave après 1995 alors que le numérique s'attaque à la matérialité même du support musical. Désormais, le 33 tours est une affaire de collectionneurs ...et de fêtards. C'est un fait curieux mais établi : le format se maintient dans le milieu du nightclubbing et des DJ. Plus largement, le vinyle est le support privilégié des rave party et de la culture electro émergente, une mouvance pourtant fort peu technophobe.
C'est donc par la
contre-culture que le microsillon va effectuer sa traversée du
désert. Aujourd'hui - et le livre de Mike Evans en fournit la preuve
- le vinyle connaît une belle renaissance en tant que marché de
niche dans un océan de musique dématérialisée. Le 33 tours est
devenu un objet chéri des esthètes, un truc de dandy un peu snob,
une aspiration aussi à un peu de sensualité dans un monde brutalisé
par les machines.
Eric