L'histoire du corps humain : évolution, dysévolution et nouvelles maladies
De Daniel E. Liberman, 2015.
En terme d'évolution, un être vivant est par nature adapté à son environnement. S'il ne l'est, son espèce disparaît, c'est aussi simple que cela. Fort heureusement, l'évolution biologique est incroyable de plasticité comme en témoigne la longue histoire du corps humain, une épopée que retrace Daniel Lieberman, professeur de biologie évolutive à Harvard.
En terme d'évolution, un être vivant est par nature adapté à son environnement. S'il ne l'est, son espèce disparaît, c'est aussi simple que cela. Fort heureusement, l'évolution biologique est incroyable de plasticité comme en témoigne la longue histoire du corps humain, une épopée que retrace Daniel Lieberman, professeur de biologie évolutive à Harvard.
Naguère, petits primates arboricoles, nos ancêtres ont lentement évolué pour survivre dans la savane et finalement conquérir la plupart des écosystèmes de notre monde. Pour ce faire, homo s'est appuyé sur deux atouts, a priori plutôt handicapants : la bipédie (peu rapide et difficile à maintenir) et l'hypertrophie cérébrale.
Alors qu?il ne pèse que 2 % de notre poids, le cerveau représente 20 % de nos dépenses énergétiques ; il pose de gros problèmes lors de l?accouchement et nécessite beaucoup de temps pour parvenir à maturité, ce qui exige une très longue période de prise en charge des petits. À bien y réfléchir, ce cerveau de luxe est finalement encombrant et coûte cher à entretenir.
Pourtant, un gros cerveau présente de nombreux avantages décisifs. Sans lui, pas de pensée symbolique ni technologique. Sans lui, pas de révolution agricole qui, il y a quelque 10 000 ans a permis de décupler les ressources alimentaires et de porter la population humaine à près de 7,5 milliards d'individus aujourd'hui. En terme darwinien, le gros cerveau a fait ses preuves.
Pour reprendre l'exemple de l'agriculture, si celle-ci a permis l'explosion démographique que l'on sait, elle a été également source de nombreux fléaux. Le travail agricole est épuisant ; les intempéries régulières suffisent à détruire les récoltes et à provoquer angoisses et famines. Surtout, l?agriculture a généré nombre de terribles maladies : la rougeole et la diphtérie (transmises par les bovins), les grippes (transmises par les porcs et les canards), la peste et le typhus véhiculés par les rats, parasites principaux des greniers. La promiscuité des humains sédentaires favorise tout autant le choléra, la violence sociale et la souffrance psychique. Quant aux caries, bien plus qu'aux bonbons de notre enfance, elles sont liées à la consommation massive d'amidon agricole.
Or, dans nos sociétés d'abondance industrielle, l'aubaine est quotidienne alors qu'ont disparu les phases de disette où l'on doit vivre sur ses réserves. Ainsi s'explique l?essor fulgurant de l?obésité, des maladies cardio-vasculaires et du diabète de type 2, trois maladies de l'inadéquation qui tuent aujourd'hui bien plus que la faim dans le monde.
Faut-il pour autant reprendre sagaies et paniers de cueillette ? C'est bien sûr impossible tant la surpopulation humaine pèse sur l'écosystème global. Certes, le corps ne peut suivre les bouleversements que l'évolution des cultures humaines lui fait subir. Mais celles-ci sont si réactives qu'une paix est désormais envisageable entre corps, culture et environnement.
Telle est la leçon de la nouvelle médecine évolutive, une discipline émergente défendue par Daniel Lieberman. Son « histoire du corps humain » replace à leurs juste places notre animalité et nos fantasmes de toute puissance. Porté par une écriture piquante, cet ouvrage consistant mais tout à fait digeste vaut toute les campagnes du ministère de la Santé.
Eric Tempête
Alors qu?il ne pèse que 2 % de notre poids, le cerveau représente 20 % de nos dépenses énergétiques ; il pose de gros problèmes lors de l?accouchement et nécessite beaucoup de temps pour parvenir à maturité, ce qui exige une très longue période de prise en charge des petits. À bien y réfléchir, ce cerveau de luxe est finalement encombrant et coûte cher à entretenir.
Pourtant, un gros cerveau présente de nombreux avantages décisifs. Sans lui, pas de pensée symbolique ni technologique. Sans lui, pas de révolution agricole qui, il y a quelque 10 000 ans a permis de décupler les ressources alimentaires et de porter la population humaine à près de 7,5 milliards d'individus aujourd'hui. En terme darwinien, le gros cerveau a fait ses preuves.
Les fléaux de l'agriculture
Dans ses grandes lignes, le mécanisme adaptatif de l'espèce est aujourd'hui bien renseigné. L'originalité de Daniel Lieberman réside dans l'intérêt qu'il porte aux ratés de l'évolution, ou tout au moins à la relative « désadaptation » du corps humain à son environnement qu'il contribue lui-même à modifier.Pour reprendre l'exemple de l'agriculture, si celle-ci a permis l'explosion démographique que l'on sait, elle a été également source de nombreux fléaux. Le travail agricole est épuisant ; les intempéries régulières suffisent à détruire les récoltes et à provoquer angoisses et famines. Surtout, l?agriculture a généré nombre de terribles maladies : la rougeole et la diphtérie (transmises par les bovins), les grippes (transmises par les porcs et les canards), la peste et le typhus véhiculés par les rats, parasites principaux des greniers. La promiscuité des humains sédentaires favorise tout autant le choléra, la violence sociale et la souffrance psychique. Quant aux caries, bien plus qu'aux bonbons de notre enfance, elles sont liées à la consommation massive d'amidon agricole.
Adapté à la goinfrerie
Le monde industriel, autre grand progrès technique, a également produit ses « maladies de l?inadéquation ». Notre système digestif est celui d?un omnivore qui s'est patiemment adapté à un environnement pauvre en sucre et en graisse. Autrement dit, nous sommes toujours des chasseurs-cueilleurs programmés pour nous goinfrer dès qu'une rare aubaine alimentaire se présente.Or, dans nos sociétés d'abondance industrielle, l'aubaine est quotidienne alors qu'ont disparu les phases de disette où l'on doit vivre sur ses réserves. Ainsi s'explique l?essor fulgurant de l?obésité, des maladies cardio-vasculaires et du diabète de type 2, trois maladies de l'inadéquation qui tuent aujourd'hui bien plus que la faim dans le monde.
Faut-il pour autant reprendre sagaies et paniers de cueillette ? C'est bien sûr impossible tant la surpopulation humaine pèse sur l'écosystème global. Certes, le corps ne peut suivre les bouleversements que l'évolution des cultures humaines lui fait subir. Mais celles-ci sont si réactives qu'une paix est désormais envisageable entre corps, culture et environnement.
Telle est la leçon de la nouvelle médecine évolutive, une discipline émergente défendue par Daniel Lieberman. Son « histoire du corps humain » replace à leurs juste places notre animalité et nos fantasmes de toute puissance. Porté par une écriture piquante, cet ouvrage consistant mais tout à fait digeste vaut toute les campagnes du ministère de la Santé.
Eric Tempête