Si si la famille
De Simon Liberati, ed Grasset (2016)
La nuit du 9 août 1969, trois femmes et un homme pénètrent dans la maison de Sharon Tate, dans les quartiers huppés des hauteurs de Los Angeles et assassinent sauvagement tous ses occupants. Le lendemain le couple LaBianca subira les mêmes atrocités. Ces deux nuits de barbarie signeront la fin du « Summer of Love » et le début d'une forme de fascination pour ceux que l'on appelle La Famille Manson.
Cette année la rentrée littéraire nous offre deux romans sur le sujet, dont California Girls par Simon Libérati.
Comme d'autres, l'auteur a été très longtemps obnubilé par cette affaire, de cette obsession il a récolté un savoir quasi exhaustif sur tout ce qui concerne les soirs des meurtres, mais surtout leurs auteurs. Il s'agit alors de retracer ces trente six heures de cauchemar.
Simon Libérati choisit la technique de l'immersion, collant le lecteur aux protagonistes, ces California Girls dont on connaît déjà la terrible destinée.
Le malaise s'installe au premier dialogue où une jeune fille décrit hilare un précédent meurtre. Et de suite il y a ce côté viscéral qui ne quittera jamais le récit, la description de la crasse, des odeurs corporelles, le sexe à outrance et le défilé des maladies vénériennes.
Et l'on découvre ces jeunes filles errant, sourire béat aux lèvres, dans un no man's land psychologique, et qui ont donné corps et âmes à leur gourou, Charles Manson. Ancien délinquant et proxénète, avec une enfance passée au hachoir et une adolescence passée dans les pires prisons du pays, Manson sait tout de la manipulation mentale apte à garder enferrés de pauvres hères dans un univers dont il est le centre.
Les heures passent, chaque page plante un peu plus ce décor fait de soumission, de drogues, de violence, et qui pourtant semble la normalité voire même le cocon bienfaiteur de ces futurs meurtriers. Tous sont tenus par le gourou, mais tous y trouvent une raison de vivre.
Et le lecteur ? Il est sous un
dôme, avec eux.
« C'est dans ce sentiment de
réclusion que je voulais faire baigner l'ensemble de la fiction1 »
dit Liberati, et dans ce sens c'est une terrible réussite.
Puis plus tard les pages qui relatent le massacre où comme le dit Libérati « ce que je voulais [...] c'est rendre compte [...] de la difficulté physique qu'il y a à tuer avec un petit canif un homme vigoureux quand on est une jeune femme de 45 kg et que l'on est contraint de revenir frapper, frapper sans cesse.2 ».
Et de nouveau être au plus près des meurtriers et de leurs victimes, ou chaque geste, chaque bruit d'un corps qui meurt, chaque sensation d'un couteau qui lacère est relaté. La sobriété de l'écriture, le côté documentaire de ces scènes nous emmène directement dans l'oeil du cyclone, à l'os du cauchemar.
Pour autant ce texte se lit d'une
traite, en apnée prolongée. On pense à De sang froid de
Truman Capote et à L'Adversaire d'Emmanuel Carrère, à
cette littérature qui se frotte aux monstres dans des enquêtes
hyper documentées et pour tout dire assez passionnantes.
A noter qu'un autre roman traite de ce sujet, d'une façon différente, mais qui a aussi marqué les esprit lors de sa récente sortie.
Jean-Camille
1 in Le Monde des Livres 26/08/16
2 idem