Jimmy's Hall
De retour d'exil aux Etats-Unis, Jimmy Gralton retrouve la campagne irlandaise qu'il a quittée des années auparavant en pleine guerre civile, ses amis, et l'espoir qu'il a porté à travers son dancing... Car dans l?Irlande des années 1920 tout juste indépendante, des fièvres consument les factions, entre les grands propriétaires terriens qui exproprient des paysans pauvres attirés par les idées communistes, les groupes fascistes et une Église conservatrice qui refuse toute émancipation des peuples de sa tutelle morale. Face à cette société archaïque et la violence de l'époque, Jimmy et ses camarades vont créer un lieu d'éducation populaire, de débat, d'ouverture sur le monde à travers, notamment la musique et la danse.
Ken Loach, désormais membre du très fermé club des réalisateurs
détenteurs de plusieurs palmes d'or à Cannes, est sans doute le
plus irlandais des réalisateurs anglais. Sa première Palme (Le
Vent se lève, 2006) portait justement sur la guerre
d'indépendance irlandaise et Hidden
Agenda traitait déjà en 1990 de l'Irlande du Nord.
Cela
sans doute car l?Irlande était le conflit colonial le plus proche
de son pays et des injustices qu'il dénonce à travers toute son
?uvre. Aujourd'hui que le conflit nord-irlandais semble en voie de
normalisation, se tourner vers l?Irlande c'est rappeler l'histoire
de la Grande-Bretagne et surtout les miroirs de l'histoire avec notre
époque. Car tout au long de Jimmy's Hall les heures
sombres des années 30 se remémorent à nous, l'alliance des
puissances terriennes, de l'injustice politique, la mainmise totale
de l?Église sur les consciences à travers les prêches tout a
fait politiques du curé qui s'appuie sur les groupes fascistes pour
stopper tous ceux qui veulent changer ces conservatismes. Ces
séquences touchent d'autant plus en France alors que les questions
de laïcité reviennent dans le débat.
Loach parle peu de
communisme, car c'est bien l'aspect naturel des aspirations des
protagonistes qu'il veut mettre en avant et non les idées
politiques. Gralton était un militant politique, mais c'est
l'humaniste que Loach dépeint. C'est le groupe de citoyens qui
veulent se réapproprier leur vie mais que la plus grande violence va
écraser sans scrupules. L'ensemble des acteurs (tous inconnus, comme
d'habitude avec Loach) est extraordinaire de charisme et de
conviction, ce qui donne du corps à un film au propos déjà
passionnant. L'on retrouve un peu du Zola par moment, dans le
contraste entre des gens simple aspirant à la tranquillité et la
rudesse des oppositions qu'ils rencontrent. Le personnage du curé
reste à ce titre le point central de l'intrigue, nous rappelant ce
qu'a été l?Église d'Irlande (voir les Magdalene
Sisters de Peter
Mullan... acteur de Ken Loach!). Et pour nous prouver que son
film n'est pas anticlérical mais simplement humain, Loach lui accole
un acolyte en la personne d'un jeune prêtre plus révolté encore
que le groupe de Jimmy.
L'histoire du cinéma et des festivals
est ainsi faite que ce ne sont pas toujours (rarement?) les meilleurs
films d'un auteur qui finissent primés. A ce titre, la dernière
palme Moi,
Daniel Blake est peut-être la récompense d'une injustice
cannoise de l'année précédente ...
Sofiène