Fatherland
Roman SF. Pour adulte.
Fatherland de Robert Harris. Juillard Pocket, 1992. 424 p.
Berlin – 1964. Les monstres ne sont pas morts. En 1946, Hitler a gagné la guerre et instauré « la paix nazie ». À quelques jours du « Führertag » est retrouvé le corps d’un noyé. March, inspecteur à la Kripo, se voit chargé de l’enquête. Une dystopie glaçante sous les ombres menaçantes des « bannières à croix gammées »...
Berlin – 1964
Les monstres ne sont pas morts. Pas plus qu’en exil en Amérique du sud. Hitler et presque toute sa clique de psychopathes zélés sont bien vivants. En 1946, « les forces de l’Axe » ont remporté la victoire. Le tracé des frontières s’en est vu on ne peut plus redessiné. Depuis « la paix nazie règne ».
Avril noir
Tôt un matin froid et pluvieux d’avril, le corps d’un homme non identifié, amputé du pied gauche, en maillot de bain et probablement mort depuis une douzaine d’heures, est repêché dans une rivière, aux abords d’une île minuscule, dont les habitants sont fort peu nombreux et appartiennent à une caste élitiste.
Accident ? Suicide ? Meurtre ? Xavier March, « inspecteur à la Kriminalpolizei de Berlin » (mais connu pour « son manque de discipline national-socialiste ») est chargé de l’investigation, à quelques jours du « Führertag », le soixante-quinzième anniversaire d’Hitler, et de la visite prochaine de Kennedy en Allemagne...
Au temps pour le décor
En Allemagne, en 1964, s’adonner à l’adultère « interracial » est un « crime sexuel, au terme de la loi de 1935 sur la souillure de la race ». Les « actes antisociaux » (comprendre l’homosexualité) conduisent, pour le commun des mortels, droit « dans un camp de travail », ou « sur le front de l’est » pour les SS. L’avortement est un « acte de sabotage contre l’avenir racial de l’Allemagne » puni de la peine capitale. La religion est « officiellement découragée ». Les juifs ont été déplacés « dans des ghettos à l’Est (…) en plus des millions (…) déportés pendant la guerre ». L’holocauste n’est que « propagande communiste » ; le véritable holocauste est ici imputé à Staline. Le jazz même a été « expurgé de toute trace d’influences négroïdes ».
Des monuments et des avenues – dont Speer et le Führer lui-même sont les architectes – gigantesques, orgueilleux, ont été édifiés, érigés au triomphe du Reich. Et à sa démesure, puisque tout y est démesurément plus grand que n’importe quoi, n’importe où ; car « même dans la victoire (…), l’Allemagne gardait un complexe d’infériorité. Rien n’avait de valeur en soi. Tout se comparait à ce qui existait ailleurs… ».
Uchronie glaçante / policier oldschool
Harris retire l’essence - quand bien même nauséabonde ! de l’idéologie nazie et livre un récit au passé réinventé des plus convaincants. Les noms qui terrorisent (Gestapo, SS, Konzentrationslager, solution finale, chambres à gaz, etc…) demeurent les mêmes ; la sensation à leur évocation également. La paranoïa (« alerte terroriste » permanente), la propagande (lorsque, entre autres, les officiels de la Croix-Rouge inspectent des camps de concentration témoins, comme c’était le cas en réalité), l’égocentrisme, l’eugénisme et la suprématie de la race aryenne, les rouages de la procédure, l’éclat d’argent des têtes de mort sur les uniformes noirs, tout le folklore hitlérien est similaire à celui que nous savons.
Au milieu de cet univers dystopique glaçant, le déroulé est celui d’un roman policier noir, à l’ancienne : enquête menée sur quelques jours, dossier classé « sécurité de l’état », squeezé par la Gestapo et la SS comme par le FBI et la CIA dans les classiques ricains, flic têtu, solitaire, avéré antisocial et ouvertement réfractaire à la doctrine nazie comme à ses dirigeants, etc...Les énigmes se révèlent avec difficulté. Le danger augmente d’un cran supplémentaire chaque fois...
Et La Veuve Joyeuse, dont l’air revient de loin en loin, comme une obsession, sous les ombres menaçantes des « bannières à croix gammées »…
Fred.