Le petit livre bleu

Documentaire. Essai littéraire pour ado/adulte.
Le Petit livre bleu : analyse critique et politique de la société des Schtroumpfs, Antoine Buéno. Hors collection, 2011. 175 p.
Chez les Schtroumpfs, il n'y a qu'un chef et l'argent ne circule pas. Communistes les lutins bleus ? Voire nazis ? C'est une des thèses que développe Antoine Buéno dans son Petit livre bleu. Une affirmation provocatrice à prendre avec humour...
Depuis tout môme, le village schtroumpf me laisse perplexe. « Comment c'est possible qu'il n'y ait qu'une fille pour 100 garçons ? Pourquoi il n'y a qu'un seul vieux ? A quoi ça leur sert le barrage qu'ils reconstruisent tout le temps ? Pourquoi il est comme ça le Schtroumpf à lunettes ? », et autres réflexions de récré.
De fait, la société schtroumpfe est une véritable énigme socio-politique. Une énigme à laquelle s'est attelé avec cocasserie et un brin de mauvaise foi le politologue Antoine Buéno dans son Petit livre bleu, sous-titré analyse critique et politique de la société des Schtroumpfs. Son hypothèse : les lutins bleus vivent dans une utopie totalitaire tout à la fois stalinienne et nationale-socialiste, rien que ça.
Communistes, les Schtroumpfs ?
Pourtant, quelques faits ne peuvent être passés sous silence. Les Schtroumpfs vivent littéralement en utopie. Leur village est absolument introuvable et leurs contacts avec l'extérieur presque inexistants. C'est une stricte autarcie. Le village schtroumpf est un lieu comparable à l'Eden, le paradis originel sans passé et immuable, structurellement parfait. A la tête de cette communauté, un seul chef - le grand Schtroumpf - assume seul la figure paternaliste du leader sage et savant. Sous son gouvernement, une centaine de farfadets hauts comme trois pommes vaquent à leurs occupations, le plus souvent plongés dans un bonheur candide. Lorsque l'aventure démarre, le déclencheur est presque toujours le même : une rupture du contrat social utopique.
Et pourquoi pas. Ici, on obéit aveuglément au Grand Schtroumpf, petit père du peuple. La collectivité, voire le travail obligatoire, est systématiquement valorisée (bon sang, mais à quoi sert ce barrage ?). Les possessions privées sont rares et on méprise l'argent ; l'accumulation capitaliste est étrangère à l'ADN schtroumpf. Par exemple, lorsque le Schtroumpf bricoleur invente une machine à fabriquer de l'or à partir de noisettes, un de ses congénères lui demande ce qu'il va faire de cet or. Réponse : à acheter des sacs de noisettes.
Nazis, les Schtroumpfs ?
Ici, la démonstration est bien plus douteuse. Pour cela, Antoine Buéno s'appuie sur un album largement critiqué depuis sa parution, le premier à mettre en scène les créatures de Peyo : Les Schtroumpfs Noirs. Bien entendu, l'amalgame est facile (la couleur noire renverrait à une race, ici représentée comme une menace en expansion), là où Peyo utilise tout simplement une couleur incarnant le Mal depuis toujours. En outre, dans son histoire, la prolifération des Schtroumpfs noirs est due à une maladie, et non à l'incursion d'une population extérieure au village. Mais Antoine Buéno ne s'arrête pas là, et complète le chapitre « nazisme » avec les thèmes de l'antisémitisme (Gargamel l'alchimiste juif cupide) et de la misogynie avec la figure ultra-stéréotypée de la Schtroumpfette.
C'est bien sûr ce chapitre qui a provoqué la bronca à la sortie du livre en 2011. Blessés dans leur madeleine, les fans ont déclenché une polémique hallucinante sur les réseaux sociaux. L'auteur a été copieusement hué, recevant même des menaces de mort. Est-ce bien sérieux ? Sûrement pas. Contrairement au Petit livre rouge de Mao, le Petit livre bleu est une blague de politologue. Par sa construction même et ses nombreuses références, le livre est traité avec la rigueur d'un essai. Cependant, il reste une habile potacherie, souvent pertinente, parfois tirée par les cheveux mais d'une lecture toujours amusante. En un mot, schtroumpfement bien.
Éric