Luna
Romans de science-fiction. Pour adulte.
Luna de Ian McDonald. Gallimard, 2018-2019. 3 tomes.
La trilogie de Ian McDonald décrit les luttes de pouvoirs des Cinq dragons au XXIIe siècle. Cinq familles pionnières richissimes par les ressources qu'elles extraient de la Lune. Mais là-haut vit aussi une société sélénite sidérante de dynamisme et d'âpreté.
« La Lune n'était pas un monde, mais un sous-marin ». Confinée, hyper technologique et intrinsèquement dangereuse, telle est la Luna décrite par Ian McDonald dans sa prodigieuse trilogie de planet-opera politico-dynastique. Qu'en est-il ? Au XXIIe siècle, notre satellite a été colonisé par des intérêts privés et compte quelque 1,7 millions d'habitants. Il existe bien une instance politique rattachée à la Terre, la LDC (Lunar Development Corporation) qui distribue les concessions sur un plan légal. Mais le vrai pouvoir est local. Il est aussi particulièrement instable et convoité.
Cinq dynasties industrielles - les cinq Dragons - contrôlent l'économie et la société sélénite. Les Corta d'origine brésilienne sont les derniers venus sur la Lune (parvenus diront certains). Ils tirent leur puissance de l'extraction de l'Hélium 3 pour alimenter les centrales à fusion de la Terre. Ayant la mainmise sur l'énergie de tous, c'est l'une des plus puissantes familles de l'humanité. Face à eux, les Australiens Mackensie exploitent les terres rares et plus généralement la métallurgie. La rivalité extrême entre ces deux familles constitue d'ailleurs le fil rouge narratif de Luna. Mais ce serait négliger les Sun, famille chinoise spécialisée dans les technologies de pointe, les Vorontsov contrôlant le transport spatial et ferroviaire, les Asamoah du Ghana enfin, détenteur du monopole sur les biotechnologies et l'agriculture lunaire.
Eau, carbone, données, air
Tout ces gens de la Lune vivent sous dôme, à quelques centimètres d'un environnement instantanément létal. Autant dire que les armes à feu y sont strictement prohibées. Malgré tout, la Lune attire les migrants. Nouvelle Amérique, c'est désormais là où se trouve l'argent et l'avenir. Lorsqu'un Terrien débarque, la douane lui impose un chib, une lentille de contact qui lui permet d'avoir accès à une IA personnelle, aux informations de la réalité augmentée et surtout aux Quatre fondamentaux. A chaque instant, les Sélénites peuvent ainsi consulter leur jauge en eau, carbone, données et air. Tous doivent ramer pour les maintenir à niveau, sans quoi, c'est la mort et le recyclage. Sur la Lune, rien ne se perd.
Sur ce monde à faible gravité, les nouveaux-venus ont deux ans pour faire marche arrière. Après ce délai, leurs résistances osseuses et musculaires auront tant diminué qu'un retour sur Terre les tuerait inévitablement. Et ce n'est pas tout : 10 % des Joe Moonbeam (le terme péjoratif pour désigner les nouveaux arrivants) meurent dans les premiers mois, le plus souvent par simple inattention. Mais ils trouvent du boulot car leur stature de Terriens est recherchée : travaux de force sur le régolite ou bien toute activité nécessitant l'emploi de la violence...
« Game of dôme »
Dans Luna, la description de la société est une claque à chaque page. Toute la sociologie sélénite ou presque constitue une innovation par rapport à son berceau terrestre. Société libertarienne, la Lune ignore le statut de citoyen. Ici, on est à la fois client des ressources louées et micro-entrepreneur. Pour vivre (souvent très confortablement), il faut passer des contrats de gré à gré. Faute de lois et d'Etat, rien n'est vraiment interdit -y compris le duel à mort- pour peu qu'un contrat en bon et dû forme ait été signé. C'est âpre, sans pitié pour les plus faibles, mais ça libère une énergie créatrice explosive.
C'est dans ce contexte que vont se déchirer les pionniers richissimes de ce monde, les Cinq dragons. Ian McDonald l'a reconnu lui-même : il y a du Game of thrones dans son histoire. A l'instar de l'univers créé par George RR Martin, on retrouve ici les luttes de pouvoir acharnées, les coups tordus et l'embrouillamini des alliances dynastiques. Moins de violence peut être, sinon celle de la Lune elle-même et de son climat peu clément. A l'instar du Trône de fer, le dramatis personae est énorme vu de haut, mais particulièrement soigné au cas par cas. Bien campés, les personnages évoluent dans un univers tellement insolite (rites, vocabulaire, lune) qu'il faut s'accrocher dans les premières pages pour commencer à entrevoir l'énormité de l'oeuvre. Ensuite, le « page-turner » fonctionne à plein régime ; vous allez manquer de sommeil.
Eric