Gagner la guerre : récit du vieux royaume
Roman de fantasy. Pour adulte.
Gagner la guerre : récit du vieux royaume de Jean-Philippe Jaworski. Gallimard, 2011. 981 p.
Considéré comme un chef d'oeuvre en matière de fantasy historique, Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski est une démonstration de maîtrise littéraire et de fluidité narrative. Ceux qui l'ont lu le savent. Les autres ont besoin de quelques arguments...
Ouh là, Gagner la guerre, c'est un très gros morceau ! A telle enseigne qu'une critique supplémentaire du monstre paraît bien vaine. Le roman-fleuve de Jean-Philippe Jaworski (980 pages) a déjà reçu tous les éloges, les analyses les plus pointues, quelques récompenses ici ou là, et, -cela ne gâche rien- un beau score éditorial. Pour la plupart de ses lecteurs, Gagner la guerre est un chef d'oeuvre, voire le sommet de la fantasy historique hexagonale, c'est comme ça, c'est acté, fin de la discussion. Pour les autres, ceux qu'hérisse l'idée même de mondes imaginaires, il ne sera pas inutile de souligner quelques arguments d'excellence en guise d'incitation apéritive.
Point de fantasy épique et médiévo-celtisante dans Gagner la guerre. L'atmosphère serait même plutôt raffinée et méditerranéenne. L'intrigue -vaste et complexe- se déroule en grande partie à Ciudalia, une cité-Etat thalassocratique, hybride de la Venise Renaissance pour son contexte géopolitique et de la Rome républicaine pour ses institutions. Après l'éclatante victoire navale de Ciudalia contre Ressine, il s'agit pour le Podestat Leonide Ducatore (une sorte de Doge / Premier consul) de transformer l'essai et de raffermir son pouvoir face à ses adversaires du Sénat. Tous sont adeptes de la manoeuvre sournoise, du coup tordu et bien entendu, de la dague plantée dans le dos au détour d'une ruelle. Politicien éclatant d'intelligence retorse, le Podestat Ducatore dispose de surcroît d'un atout de taille. Il se nomme Benvenuto Gesufal.
Attachant soudard
Benvenuto Gesufal est un personnage extraordinaire. Ancien soldat, assassin d'élite de la guilde des Chuchoteurs, maître espion, bretteur de première catégorie, cet homme de l'ombre est chargé par son maître d'assurer le succès de sa diplomatie parallèle par tous les moyens.
Et le bonhomme est gratiné ! Sans pitié ni scrupule, la trogne ravagée par des semaines de torture, Benvenuto Gesufal n'a rien du héros à la mâchoire franche et à l'âme chevaleresque. Pourtant, on s'y attache à ce soudard ! Narrateur de ses propres mésaventures, Gesufal captive par sa gouaille, son humour caustique, son intelligence, sa bravoure et surtout son talent à rester en vie contre toute logique.
Car le livre de Jaworski est avant tout un grand roman d'aventure, suite harassante de cavales et cavalcades, traîtrises et autres complots à tiroirs, Dumas aurait adoré. Mais gagner la guerre, c'est aussi un monde pensé dans ses moindres détails. Une subtilité juridique ici, là une odeur complexe ou encore telle fantaisie architecturale invisible à moins de fuir par les toits. Cette générosité dans le détail est le Saint-Graal de la fantasy ; cela permet d'y croire. A ce propos, le système magique quoique discret est solide et n'alourdit pas le propos. On croise des elfes et des nécromanciens, il pourrait aussi bien ne pas y en avoir (mais c'est mieux avec).
Jaworski le styliste
Difficile de croire qu'une recette aussi capiteuse puisse se déguster longtemps avec plaisir. Mais ça marche et l'auteur parvient à tenir son lecteur en appétit. C'est ultra rabâché, aussi rabâchons : Jaworski est un très grand styliste. Spectaculaire de la première à la dernière page, sa plume ciselée autorise toutes les descriptions : la pompe de la noblesse comme le jargon des malfrats. On reste pantois devant l'aisance et la fluidité littéraire qui nous est offerte. C'est certes soutenu et millimétré. Ça n'est jamais maniéré.
« Je n'ai jamais aimé la mer » et « L'enfoiré. » Entre ces deux solides jugements de valeur qui ouvrent et clôturent le roman, près de mille pages étourdissantes de castagne, de magie, de sexe, de politique et de personnages hauts en couleur. Gagner la guerre est un très grand roman, un classique immédiat que tout amoureux des lettres se doit d'avoir lu dans sa vie. C'est comme ça, c'est acté, fin de la discussion.
Eric