Là où vont nos pères
Roman graphique. Pour ado/adulte.
Là où vont nos pères de Shaun Tan. Dargaud, 2007, non paginé.
Dans un intérieur modeste, un père de famille fait sa valise au petit matin. Il emballe précautionneusement un cadre de photographie, sur laquelle il pose avec sa femme et sa fille. Sur le quai de la gare, c'est l'instant douloureux des adieux ou plutôt d'un dernier au revoir car cet homme part en éclaireur ; son exil n'est pas un abandon, c'est l'histoire universelle des migrations obligatoires.
Le titre - Là où vont nos pères - est l'unique texte de la fameuse bande dessinée de Shaun Tan. Multirécompensé, Là où vont nos pères est un roman graphique muet, un procédé qui n'est pas inhabituel en matière de bande dessinée, mais qui prend tout son sens ici pour décrire les innombrables difficultés du déracinement. Parvenu dans une métropole gigantesque et irréductiblement étrange, ce père doit trouver sa place en dépit de la barrière des langues et du choc culturel que le lecteur ressent avec lui. Car de l'autre côté de l'océan, tout semble surréaliste : l'architecture, les gens et jusqu'aux animaux familiers qu'on pourrait croire tirés d'une peinture de Bosch.
La couleur de la mémoire
Là où vont nos pères tire en partie sa force de sa sincérité autobiographique. Shaun Tan est en effet le fils d'un immigré chinois en Australie. Son père étudiant en architecture s'installe à Perth, « une des villes les plus isolées du monde, prise en sandwich entre un vaste désert et un océan encore plus vaste », remarque l'auteur sur son site internet. Né en 1974, le jeune Shaun est traversé de questionnements identitaires à une époque où les immigrés d'origine asiatique sont encore rares sur la côte ouest-australienne.
Pourtant, sa bande dessinée se veut universelle et pourrait tout aussi bien évoquer le New York des années 1910. Pour son dessin, Shaun Tan reconnaît d'ailleurs avoir été influencé par des photographies vues au musée de l'Immigration d'Ellis Island. D'où l'aspect étrangement documentaire du livre. Structurées en gaufriers ou panoramas de pleine page, les planches ne quittent pas les tons sépia, la couleur de la mémoire.
Là où vont nos pères est un chef d'oeuvre prophylactique. Par sa profonde humanité et sa beauté formelle, l'unique roman graphique de Shaun Tan rappelle que personne ne quitte sa maison par caprice. En embrassant avec empathie la condition de migrant, Shaun Tan rend hommage à la solidarité, l'une des plus solides qualités humaines.
Eric