Le Crépuscule d'une idole : l'affabulation freudienne
Psychanalyse. Documentaire pour adulte.
Le Crépuscule d'une idole : l'affabulation freudienne de Michel Onfray. Le livre de poche, 2011, 637 p.
Dans Par delà le bien et le mal, Friedrich Nietzsche évoquait les vilaines petites manies des philosophes. Dans l'ensemble, remarquait-il, ils sont « les avocats et mêmes les astucieux défenseurs de leurs préjugés, baptisés par eux "vérités" ». Pour Michel Onfray, la sentence du grand philosophe allemand s'applique à la perfection à l'autre de ses grands maîtres universitaires, le non moins célèbre Sigmund Freud.
C'est peu dire que le milieu de la psychanalyse a été le théâtre de batailles homériques, de disgrâces, de procès en hérésie et d'excommunications. Dans Le Crépuscule d'une idole, on sent que Michel Onfray en rajoute une couche avec une certaine délectation.
Principal reproche adressé à Freud : sa discipline serait « moins une psychanalyse scientifique issue d'une méthode expérimentale avec des concepts universellement valables qu'une psychologie littéraire issue d'une autobiographie avec des notions créées sur mesure pour lui-même, extrapolées ensuite à la totalité de l'humanité ». Bref, Freud a construit une pseudo-science scandée sans recul avec des arguments de gourou.
Imposture intellectuelle
La critique n'est pas nouvelle et reprend en partie les conclusions du Livre noir de la psychanalyse, paru en 2005 sous la direction de Catherine Meyer. Pour ces historiens critiques de la psychanalyse, Freud et certains de ses hagiographes ont assumé mensonges et imprécisions tant au sujet de ses études et de son matériel clinique, que de ses méthodes de travail, ses résultats thérapeutiques et même la portée et l'innovation de ses résultats théoriques et pratiques.
Pour Onfray, il y a comme une imposture intellectuelle dans le concept même d'inconscient. Freud, ayant tourné le dos « à la médecine, à l'anatomie, à la physiologie, aux neurologues, aux médecins, au cerveau, au système nerveux, au laboratoire », a fourbi « une arme extraordinaire : un inconscient psychique invisible mais omnipotent». Ainsi incapable de « travailler sur le somatique », il « décide de travailler sur le psychique » c'est-à-dire « sur l'invisible, l'impalpable, l'immatériel, l'incorporel, l'imperceptible, le spirituel donc ». Or, la science exige une méthode expérimentale qui suppose l'observation, donc l'usage des cinq sens, de la totalité de son corps, de son cerveau, de son intelligence. Il en résulte donc que « l'inconscient freudien » n'est qu'une pure et simple invention.
La religion du sexe
Comment dès lors expliquer le succès du freudisme et de la psychanalyse pendant un siècle ? Tout au long du livre, Michel Onfray nous décrit un Freud rempli de défauts, autoritaire voire tyrannique, cupide, menteur, magouilleur, imbu de lui-même et surtout très solitaire. Comment un homme seul, coincé dans une situation de départ médiocre aussi bien sûr le plan intellectuel que sur le plan économique, comment cet homme seul a-t-il pu à ce point conquérir le monde ?
Pour Onfray, « Freud a fait entrer le sexe dans la pensée occidentale par la grande porte alors que l'Europe chrétienne le refoule depuis un millénaire ». Pour ce faire, Freud a construit une organisation militante extrêmement hiérarchisée, construite sur le mode de l'Église catholique, « une sorte de religion dans une époque d'après la religion ». Surtout, assène Onfray, la psychanalyse devrait son succès à « sa médiatisation post-soixante-huitarde par l'entremise du freudo-marxisme ».
Plus que de la haine, on sent de la déception chez Michel Onfray, la déception vis-à-vis d'un maître qui ne serait plus à la hauteur de sa fascination d'étudiant. Reste la décrue bien réelle de la psychanalyse au niveau mondial. Largement décriée quant à son efficacité psychiatrique, la psychanalyse est bousculée par les nouvelles thérapies comportementales et les avancées en matière de sciences cognitives. Au dernières nouvelles, l'inconscient lui-même serait une illusion du cerveau, nous dit-on. Quant à Freud, il n'est plus guère enseigné qu'en France, terre d'élection des belles polémiques intellectuelles.
Eric