Tristes tropiques
Ethnologie. Documentaire pour adultes
Tristes tropiques, Claude Levi-Strauss, Plon, 504 p., 1980
Tristes tropiques, paru en 1955, consigne amèrement les effets du machinisme occidental sur les sociétés les plus traditionnelles de l'Humanité.
75 ans plus tard, l'oeuvre la plus littéraire de Claude Lévi-Strauss garde aujourd'hui encore toute sa puissance prophétique.
Tristes tropiques, Claude Levi-Strauss, Plon, 504 p., 1980
Tristes tropiques, paru en 1955, consigne amèrement les effets du machinisme occidental sur les sociétés les plus traditionnelles de l'Humanité.
75 ans plus tard, l'oeuvre la plus littéraire de Claude Lévi-Strauss garde aujourd'hui encore toute sa puissance prophétique.
Le livre le plus célèbre de Claude Lévi-Strauss aura eu une carrière des plus singulières. « Je hais les voyages et les explorateurs », assène l'auteur dès les premières pages comme pour évacuer toute complaisance à l'endroit des récits de voyage, genre qu'il exécrait au-delà de tout.
Tristes tropiques, paru en 1955, est sans aucun doute l'ouvrage le plus lu de Claude Lévi-Strauss. Depuis sa parution, l'ouvrage, traduit dans une trentaine de langues, s'est écoulé par centaines de milliers d'exemplaires dans le monde entier et a propulsé son auteur comme l'un des plus grands intellectuels du XXe siècle.
Et pourtant, Tristes tropiques occupe une place à part dans l'oeuvre de Claude Lévi-Strauss. Son texte le plus littéraire est également le moins scientifique et le plus personnel. Bien loin des analyses anthropologiques fines des organisations sociales de ses Mythologiques ou de sa colossale construction théorique dans l'Anthropologie structurale, Tristes tropiques parvient à l'universalité par le seul regard que porte un ethnologue sur le monde qui l'entoure.
C'est un texte remarquablement écrit, dans un style classique, ample et maîtrisé. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le livre fut pressenti pour le prix Goncourt, s'il ne s'était agi d'un essai scientifique. On y trouve, mêlés aux réflexions sociologiques, une éloquence, un sens de la formule et des emportements de moraliste qui rappellent, parfois explicitement, la littérature du XVIIe siècle. De fait, Tristes tropiques est quelque peu décalé en cette décennie qui va bientôt voir naître la « nouvelle vague » et le « nouveau roman », lubies de quelques jeunes turlupins.
Les saccages de la machine
Lévi-Strauss n'était pas un turlupin. Son succès, il faut d'abord le rattacher au contexte des années 1950. En cette période de guerre froide, hantée par la menace d'une troisième guerre mondiale, les souvenirs d'Auschwitz et d'Hiroshima sont encore vifs, et les avancées de la science et du machinisme suscitent les plus grandes inquiétudes.
En prenant la civilisation occidentale pour objet, en la comparant sans indulgence aux cultures les plus « primitives » du globe (et notamment celles du Brésil), en montrant que tout progrès technologique se paye par une perte sur un autre plan, Tristes tropiques opère une mise en perspective salutaire.
Cet essai, au titre pessimiste, est très représentatif des conceptions de l'élite intellectuelle de son époque. Il traduit la crise de conscience de l'Occident après deux conflits mondiaux. Il remet en cause la tradition du voyage de formation culturelle, le tourisme élitiste, ou l'attrait des explorations liées à l'aventure coloniale.
Dans la lignée de Valéry ou de Bernanos, Lévi-Strauss refuse l'hégémonie de la civilisation de l'homme blanc. L'auteur s'éloigne des conceptions scientistes et de la croyance en un progrès sans fin. Il constate amèrement les saccages qu'une civilisation industrielle produit sur le milieu naturel et les différentes sociétés « primitives » qu'elle rencontre. Il nous livre sa foi en un humanisme inquiet, respectueux de la diversité du patrimoine culturel. À l'heure de la destruction massive de notre maison commune, sa lecture reste plus que jamais d'actualité.
Eric
Tristes tropiques, paru en 1955, est sans aucun doute l'ouvrage le plus lu de Claude Lévi-Strauss. Depuis sa parution, l'ouvrage, traduit dans une trentaine de langues, s'est écoulé par centaines de milliers d'exemplaires dans le monde entier et a propulsé son auteur comme l'un des plus grands intellectuels du XXe siècle.
Et pourtant, Tristes tropiques occupe une place à part dans l'oeuvre de Claude Lévi-Strauss. Son texte le plus littéraire est également le moins scientifique et le plus personnel. Bien loin des analyses anthropologiques fines des organisations sociales de ses Mythologiques ou de sa colossale construction théorique dans l'Anthropologie structurale, Tristes tropiques parvient à l'universalité par le seul regard que porte un ethnologue sur le monde qui l'entoure.
C'est un texte remarquablement écrit, dans un style classique, ample et maîtrisé. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le livre fut pressenti pour le prix Goncourt, s'il ne s'était agi d'un essai scientifique. On y trouve, mêlés aux réflexions sociologiques, une éloquence, un sens de la formule et des emportements de moraliste qui rappellent, parfois explicitement, la littérature du XVIIe siècle. De fait, Tristes tropiques est quelque peu décalé en cette décennie qui va bientôt voir naître la « nouvelle vague » et le « nouveau roman », lubies de quelques jeunes turlupins.
Les saccages de la machine
Lévi-Strauss n'était pas un turlupin. Son succès, il faut d'abord le rattacher au contexte des années 1950. En cette période de guerre froide, hantée par la menace d'une troisième guerre mondiale, les souvenirs d'Auschwitz et d'Hiroshima sont encore vifs, et les avancées de la science et du machinisme suscitent les plus grandes inquiétudes.
En prenant la civilisation occidentale pour objet, en la comparant sans indulgence aux cultures les plus « primitives » du globe (et notamment celles du Brésil), en montrant que tout progrès technologique se paye par une perte sur un autre plan, Tristes tropiques opère une mise en perspective salutaire.
Cet essai, au titre pessimiste, est très représentatif des conceptions de l'élite intellectuelle de son époque. Il traduit la crise de conscience de l'Occident après deux conflits mondiaux. Il remet en cause la tradition du voyage de formation culturelle, le tourisme élitiste, ou l'attrait des explorations liées à l'aventure coloniale.
Dans la lignée de Valéry ou de Bernanos, Lévi-Strauss refuse l'hégémonie de la civilisation de l'homme blanc. L'auteur s'éloigne des conceptions scientistes et de la croyance en un progrès sans fin. Il constate amèrement les saccages qu'une civilisation industrielle produit sur le milieu naturel et les différentes sociétés « primitives » qu'elle rencontre. Il nous livre sa foi en un humanisme inquiet, respectueux de la diversité du patrimoine culturel. À l'heure de la destruction massive de notre maison commune, sa lecture reste plus que jamais d'actualité.
Eric