Incident à Twenty-Mile
Un jeune homme arrive un matin, avec « à l'épaule un gros sac & en bandoulière un énorme fusil ». Matthew, désireux de plaire à tous se présente à ses interlocuteurs chaque fois sous un nom différent et obtient de chacun (ou presque) quelques petits boulots, glanés au travers des différentes tâches que ceux qu'il sollicite n'ont pas le temps - ou la volonté ! de prendre à leur charge.
Matthew s'inspire dans son quotidien du Ringo Kid, personnage de littérature dont les aventures sont contées par Anthony Bradford Chumms, auteur qui suscite toute l'admiration du jeune homme. Chumms est d'ailleurs l'un des noms sous lequel il se présente en arrivant à Twenty-Mile ; Ringo Kid l'un des prénoms qu'il utilise. Sa besace est pleine de plusieurs tomes de ses romans. Matthew traîne derrière lui « un fardeau de souffrance & d'horreur » qu'il dissimule dans ses mensonges.
Une main de fer & une voix de velours
Au même moment, toujours dans le Wyoming, Lieder - un dangereux criminel, s'évade de la prison d'État de Laramie, accompagné dans sa folle cavale de Mon-P'tit-Bobby & de Minus (qui l'est vraiment). Après avoir laissé plusieurs victimes dans leur sillage, les trois sociopathes débarquent à leur tour à Twenty-Mile. Lieder prend immédiatement ce qu'il reste de la population en otage. Il instaure alors une discipline odieuse, brutale & humiliante pour la plier à ses exigences.
Lieder s'exprime avec faconde et éloquence ; dès qu'il ouvre la bouche, le choix du bon mot se fait naturellement lors de ses interminables
tirades. Ses déclamations sont fréquemment ponctuées de citations
bibliques... de son cru (« Car qui pousse son prochain à la violence
se rend lui-même coupable de cette violence...Paul aux Chippewas,
7,13. Je suis sûr que vous connaissez ce passage »). Cela accentue
sa démence, la crainte qu'il inspire, & lui permet d'asseoir
son autorité sadique de façon péremptoire.
Un western atypique
L'ensemble du récit se
situe presque exclusivement à Twenty-Mile, principalement à l'Hôtel
des Voyageurs, où Lieder a élu domicile, réunit les habitants &
où il les torture psychologiquement ou physiquement, pour servir
d'exemple. Le bandit connaît bien son sujet, lui-même ayant été
martyrisé & brisé dans sa jeunesse. Du reste, les blessures
intimes - infligées à Lieder dans son passé, & subies par
Matthew plus récemment - que l'on découvre ou devine au cours de la
narration, reviennent souvent ; elles ne justifient pas, mais
éclairent sur les déviances du plus âgé & les traumatismes du
plus jeune. D'une façon plus générale, ce roman dénonce la nature
humaine dans ce qu'elle a de plus vile.
Revenir sur le talent de Trevanian me semble superflu (& puis ce
serait de l'auto-plagiat). L'auteur revisite ici le western. Avec
L'Été de Katya, le thriller psychologique était éclipsé par le
côté romanesque de la Belle Époque, du bien parler de la haute
bourgeoisie parisienne. Le thriller en lui- même ne laissait
apercevoir son genre qu'en fin de récit. C'est aussi un peu le cas
ici. Incident à Twenty-Mile est un western, parce que les faits se
déroulent à une époque où les colts se portaient encore à la
ceinture. Mais pendant près de 200 pages, nous ne sommes pas dans Il
Était une fois dans l'Ouest ! Ici aussi, l'emphase des dialogues -
ou des monologues, l'emporte (selon moi) sur le genre. Ce n'est que
progressivement que l'ambiance prend un tournant plus classique &
colle aux schémas que l'on connaît...
Fred