Psychologie de la connerie
Psychologie de la connerie, sous la direction de Jean-François Marmion, Sciences humaines éditions, 2018, 377 p.
Il
est des sujets tellement casse-gueule qu'on ne peut les aborder que
par une pirouette. La connerie en fait partie. Puisque paraît-il, on
est toujours le con d'autrui, pontifier sur la bêtise
relève alors d'un périlleux exercice de boomerang. Pour éviter cet
écueil, Jean-François Marmion, psychologue et rédacteur en chef de
la revue Psy, a confié
à une vingtaine de chercheurs, philosophes, psychologues, écrivains
et sociologues la lourde tâche de définir une Psychologie
de la connerie. Mission
accomplie : même s'il est tout à fait loisible d'être con
seul ou à plusieurs, on se sent tout de même un peu dégrossi à la
lecture de cet ouvrage polyphonique.
Premier constat : la connerie humaine est immense et ne se laisse pas facilement enfermer dans une définition étroite. Il est des cons de tout poil dont on dressera utilement une typologie préliminaire. Car les abrutis, les connards ou connasses, les imbéciles, les gourdes ou les simples benêts ne sévissent pas de la même manière. La toxicité du couillon dont on moque la naïveté est évidemment sans commune mesure avec celle du connard manipulateur, simple collègue de travail ou président d'une puissance nucléaire. Celui-là, par qui la connerie arrive invariablement, dans une promesse toujours tenue, n'a qu'une éthique : sa satisfaction absolue et toujours légitime puisque satisfaisante. Le serpent qui se mord la queue, un grand classique de la pensée conne...
L'empire du biais
Ce serait donc une grave erreur que d'opposer connerie et intelligence. En revanche, affirment les auteurs, la sottise sous toutes ses formes s'oppose généralement à la raison et particulièrement à la réflexion rationnelle consciente. Nous sommes tous susceptibles de penser et d'agir comme des cons car nous sommes tous sous l'empire de nos biais cognitifs. L'un des plus puissants est le biais de masse, soit le sentiment que si beaucoup de gens pensent une chose, cette chose est probablement vraie (fut-elle complètement conne). Pour autant, l'illusion de causalité, le biais d'autorité, l'aversion à la perte et tous les autres biais cognitifs de la psychologie sociale restent des peccadilles pour peu que l'on rectifie le tir, c'est à dire après avoir raisonné un minimum.
L'ennui,
s'accordent les auteurs, c'est que le contexte moderne n'aident guère
les individus à effectuer ce travail de raison. A l'heure numérique,
la connerie globale galope et prospère sur tout nos travers
intellectuels. Le bullshit, les fake news et autres théories du
complot y trouvent comme une chambre d'écho tonitruante. La connerie
sans cesse propagée notamment sur les réseaux sociaux complique
singulièrement la tâche de ceux qui doutent et préfèrent
vérifier. Parmi ceux-là, il y a Tobie Nathan, Edgar Morin,
Jean-Claude Carrière ou encore Ewa Drozda-Senkowska, quelques uns
des auteurs de cette rafraîchissante et très salubre Psychologie
de la connerie. A
telle enseigne qu'il n'est plus totalement établi qu'au delà de
quatre, on soit forcément une bande de cons.
Eric