Homo terminus
de Yuval Noah Harari, Albin Michel, 2017, 463 p.
Placé au pinacle de la création, Sapiens cherche désormais sa divinisation. Pour Yuval Noah Harari, cette ambition pourrait marquer la fin de l'Humanité telle qu'on la connaît.
Voilà un ouvrage qui pourrait bien être la meilleure « terror story » de la rentrée. Dans « Homo Deus », l'historien israélien Yuval Noah Harari pose l'hypothèse d'une future divinisation de l'Homme au prix exhorbitant de ce qui compose son humanité. Comment ? Par une simple défaite à domicile face à la technologie. Cette perspective glaçante devrait recevoir un écho maximal tant l'auteur est devenu un auteur à succès après son «Sapiens », vendu à plus de 8 millions d'exemplaires à travers le monde.
Il y a deux ans, « Sapiens »
s''attachait à retracer notre passé et l'extraordinaire concours de
circonstances qui a valu à ce primate gracile, l'homo sapiens, son
empire incontesté sur le monde. Cette fois-ci, Harari s'intéresse
au présent, et surtout au proche avenir, marqué par l'effacement
des barrières entre le monde biologique et la technologie. Cet
effacement a un sens, ou plutôt deux finalités. Après être en
passe d'abolir la guerre et la famine, Sapiens envisage selon Harari
d'accéder à la félicité et même à l'immortalité. Couplées à
la toute-puissance, ces deux caractéristiques fondent en effet la
divinité au sens traditionnel et antique du terme.
Pas de grève pour les inutiles
Le projet est envisageable selon l'auteur car la vie est somme toute une succession d'algorithmes, c'est à dire une suite d'opérations agencées pour aboutir à une décision et/ou une action. Autrement dit la proposition « j'ai faim donc je cherche à manger » est de même nature qu'une sauvegarde informatique. Puisque le cosmos est profondément composée de données, l'organique et l'artificiel peuvent dès lors fusionner et permettre l'émergence d'authentiques intelligences artificielles capables de réparer les corps et de se substituer aux humains pour prendre la meilleure décision.
L'ennui, souligne Harari, c'est que nous ne serons pas tous des surhommes. Ce futur ne sera accessible qu'aux plus riches, issus de pays maîtrisant l'intelligence artificielle et les bio-technologies. "Les inégalités économiques pourront se traduire en inégalités biologiques, prévient Yuval Noah Harari : pour la première fois de l'Histoire, la classe supérieure pourra être biologiquement supérieure". De fait, l'historien envisage le décrochage de toute un pan de la société, la classe "qui ne sert à rien".
Cette classe inutile pourrait croître
de façon exponentielle, prévient Harari. "Ce sont des gens
qui ne sauront rien faire mieux que l'intelligence artificielle.
Au 20e siècle, la classe ouvrière
pouvait lutter contre son exploitation par la classe supérieure.
Elle avait des moyens de pression, puisque sans elle l'économie ne
pouvait pas tourner. Rien de tel pour la 'classe inutile'".
Des individus "sans pertinence" puisque l'on n'aura
pas besoin d'eux pour faire tourner l'économie : « vous
ne pouvez pas faire grève si vous ne servez à rien" !
Fin des masses, fin de l'individu
L'auteur de Homo Deus explique ainsi que "le 21e
siècle marque la sortie de l'ère des masses". Au
siècle dernier, même les dictateurs avaient besoin d'elles - au
moins pour constituer leurs armées. Aujourd'hui, elles sont de moins
en moins importantes en terme économique, militaire, etc. "Les
meilleures armées du monde s'appuient sur des technologies - drones,
robots, cyber-armes, etc - pas sur les hommes. Le même
mouvement pourrait marquer les économies civiles : elles
s'appuieront de moins en moins sur les employés lambda, sur les
masses, pour s'appuyer sur un petit nombre d'élites".
Dans
le même temps, l'avènement de l'Homo deus pourrait bien sonner la
fin de l'individualisme moderne soutenu par cinq siècles
d'humanisme. Celui-ci proclame que l'univers doit s'envisager à
l'aune de l'esthétique et du bénéfice humain. Puisque l'individu
humain a toujours raison, il en découle que l'électeur doit décider
(démocratie parlementaire) ou que le client est roi (capitalisme
libéral). Mais que vaut une décision individuelle face à la
puissance de calcul d'une intelligence artificielle ? Combien de
vies seront épargnées lorsque l'IA prendra le contrôle du trafic
automobile ?
Alors que faire ? Yuval Noah Harari ne le
dit pas, sa démarche relève davantage du questionnement que de la
prédiction. Au final, conclut-il, le problème se résume à trois
questions. 1- La vie se réduit-elle au traitement de données ?
2- L'intelligence est-elle plus précieuse que la conscience ?
3- Qu'adviendra-t-il de la société « quand
des algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous
connaîtront mieux que nous ne nous connaissons » ?
Certaines personnes influentes comme Bill Gates ou Stephen Hawkins ont déjà
pris position : ce sera la fin de l'aventure humaine.
Eric Tempête