Le Supercontinent. Une histoire naturelle de l'Europe
Documentaire paléontologie. Pour ados/adultes.
Le supercontinent. Une histoire naturelle de l'Europe de Tim Flannery. Flammarion, 2019. 417 p.
Continent récent à l'échelle géologique, l'Europe a connu une histoire naturelle mouvementée. Et une particularité supplémentaire, remarque Tim Flannery dans son Supercontinent : le Vieux Continent est la terre de toutes les hybridations.
Dans le temps géologique, le Vieux continent est un bébé. Lorsque la Pangée se scinda en deux il y a 100 millions d'années, l'Europe était encore un archipel mouvant, peuplé de dinosaures, de ptérosaures et de créatures marines. Il faut attendre -30 millions d'années pour que la terre ferme prédomine en tant que péninsule eurasiatique. Continent récent et discutable, l'Europe se définit avant tout comme un carrefour biologique entre l'Amérique du Nord, l'Afrique et l'Asie. Dans cette position singulière, l'Europe fut et reste un lieu d'échanges incessants, d'hybridations et de métissages.
Avec une bonhommie toute anglo-saxonne, le paléontologue australien Tim Flannery retrace cette histoire naturelle de l'Europe dans Le Supercontinent, un récit haut en couleur et singulièrement exotique. D'une forêt tropicale à la toundra un peu plus tard, le lecteur croise l'hatzegopteryx, la chèvre-souris, le gastornis, le mégalocéros, le titanosaure nain ou l'ours-chien. Tous ou presque ont disparu, tel cet inquiétant entélodonte, sorte de phacochère carnivore de la taille d'une vache.
Melting-pot génétique
En Europe, les variations géo-climatiques au néozoïque furent littéralement cataclysmiques. Flux et reflux du niveau de la mer, tempêtes de sel, glaciations chroniques : on pourrait se perdre dans le décompte des espèces disparus au cours de ces quelques dizaines de millions d'années. Heureusement, Tim Flannery enrichit son récit par une foule de détails sur cette vie étrange, ainsi que sur leurs découvreurs, des scientifiques parfois extravagants. Il en est ainsi de l'exécrable Richard Owen, aussi toxique pour ses confrères que sa vipère géante Laophis. Ou du baron Nopcsa von Felso-Szilvas, tombé dans l'indigence pour avoir mené à bien sa quête sacrée des dinosaures nains.
Chemin faisant, des milliers d'espèces animales ont émergé, évolué, disparu. Surtout, contrairement à l'Amérique du Sud ou à l'Australie, l'Europe s'est trouvée en contact quasi permanent avec l'Afrique et l'Asie et dans une moindre mesure avec l'Amérique du Nord. Dès lors, le Vieux Continent fut le laboratoire de toutes les hybridations. Généralement, les hybrides sont infertiles et leur poids dans la biodiversité reste marginale. Sauf en Europe, avance Tim Flannery. Sur le temps long et grâce à l'apport régulier des biotopes voisins, la faune européenne s'est constituée en tant que gigantesque melting-pot génétique.
Le retour des mammouths ?
Dans ce jeu de massacre et de métissage, un mammifère va rapidement prendre une importance démesurée. Il y a 23 millions d'années, une petite créature apparaît ici. C'est peut-être le premier hominidé, l'ancêtre des grands singes et des humains. Mais il s'en va, bientôt remplacé par d'autres primates africains. Vagues après vagues, les représentants du genre homo vont tenter leur chance en Europe, jusqu'aux puissants Néanderthaliens, seuls capables de survivre aux glaciations. Nous-mêmes sommes issus d'une ultime hybridation : celle des homo-sapiens archaïques avec leurs cousins de l'âge de glace. Aujourd'hui encore, entre 20 à 40 % du génome néanderthalien circule dans les populations humaines d'Europe et d'Asie. L'homme moderne, ce « bâtard », est pourtant la source des plus grands bouleversements dans la biosphère européenne et bientôt mondiale. Dans les derniers chapitres du Supercontinent, on survolera les conséquences de la chasse sur la mégafaune du pléistocène, des diverses domestications, de l'agriculture, de l'expansion européenne et pour finir de la révolution industrielle qui enclenche une nouvelle ère, l'anthropocène.
Forcément, plus le récit se rapproche du temps présent, plus le ton devient préoccupant. Tim Flannery, à la fois paléontologue et militant écologiste, considère pourtant que l'Europe est un territoire privilégié pour combattre la sixième extinction. A la pointe du combat en la matière, l'Europe est exempte du boom démographique suicidaire qui risque de submerger l'Afrique et l'Asie. Et l'auteur d'imaginer un réensauvagement des campagnes par le très européen processus de métissage. Ce serait alors le retour des lions et des rhinocéros, des hyènes et des ours. Dans une Europe plus chaude et plus sauvage, des touristes du monde entier viendront photographier ces nouveaux hybrides sans poil, mais que l'on appellera forcément des mammouths.
Eric