Évasion
L'auteur de Pike & de Cry Father nous offre un troisième roman, à la fois violent, cynique, sensible & triste, comme à son habitude ; un récit résolument noir, mais sur fond blanc. Tempête de neige oblige.
Évasion, Benjamin Whitmer, Gallmeister Éditions, 448 p., 2018.
1968. Au pied du mont Dos
Tortugas, dans le Colorado, se dresse Old Lonesome, l'imposante
prison de la ville. Le soir du réveillon, douze taulards s'en
évadent, puis se dispersent en petits groupes. Ils sont pris en
chasse par Jim Cavey (un traqueur réputé), Dayton Horn, la cousine
de Mopar Horn, l'un des prisonniers en fuite (& accessoirement
vendeuse d'herbe), Stanley Hartford & Garret Milligan, deux
journalistes en quête de scoop, & une meute de gardiens de
prison survoltés aux amphétamines aux ordres de Jugg, le
directeur de Old Lonesome (& en quelque sorte de la ville).
Au
même moment, le blizzard annoncé se déclare & va faire rage
avec une rare violence, violence en adéquation avec celle des
hommes, qui va aller crescendo jusqu'au dénouement...
Whitmer opère à vif !
Si
l'on cherche quelqu'un de clean,
c'est une perte de temps que d'imaginer le trouver chez Whitmer. Au
mieux, ses personnages principaux sont torturés, désabusés, d'une
certaine manière des losers
que la vie a mis au pas. Mais des marginaux, pour les meilleurs
d'entre eux, cela ne fait aucun doute : ils n'ont pas, n'ont jamais
eu ni n'auront jamais une idée vertigineuse d'eux-même !
Dans
« Évasion », le fait d'être du bon côté du fusil, protégé par
son statut, derrière un uniforme, n'est certainement gage ni
d'honnêteté, ni de noblesse, ni d'un sens débordant du devoir &
de la justice. Surtout si l'on carbure à la Dexedrine (& surtout
si elle est fournie par le directeur Jugg himself).
La culpabilité, l'ennui, la jalousie, la sensation d'impunité que
confère le pouvoir & qui donne l'illusion d'être dans son bon
droit, sont les sentiments qui animent les personnages de ce roman ;
sans parler des frappadingues, purement & simplement, qui
comptent parmi les plus abjects, ou idiots, ou déglingos que l'on
puisse croiser (de sorte qu'on espère que ce ne sera jamais le cas).
Audiard,
en plus trash...
Whitmer a le sens du (bon) mot, du dialogue, de la tournure de phrase
imagée qui kill à mort. Bon d'accord : Whitmer est écrivain, &
sans doute y a-t-il là relation de cause à effet. Il n'empêche !
Je ne suis pas sûr de la nécessité d'essayer d'expliquer cela ; il
me semble que le plus simple reste encore d'en citer quelques
passages qui rendront probablement plus justice à l'auteur que
n'importe laquelle de mes élucubrations !
Or donc, je cite :
- « Son profil ressemble à un truc qu'un rat aurait pu faire en rongeant du carton ».
- « (...) ni l'un ni l'autre n'a reçu l'intelligence que Dieu confia aux poteaux de clôture ».
- « La femme qui se trouve là ressemble à une cigarette à moitié écrasée ».
- « La colonne vertébrale de Stanley se raidit comme si quelqu'un venait de la racler de haut en bas avec la pointe d'un cintre en fil de fer ».
- « - Elle aimait bien l'argent
que je gagnais, mais au bout d'un moment elle a compris qu'elle
pouvait avoir l'argent sans avoir les mots. & là, c'était
foutu.
- Je suis tranquille. J'ai pas d'argent ». - « - C'est foutument honteux,
ce que ce pays est devenu, dit Parker.
- Non, dit Charles. Il a toujours été comme ça. Vous pouvez me croire ».
Bref ! J'en aurais
d'évidence des wagons à recopier, mais le mieux, sans conteste, est
bien entendu de lire directement ce roman, & puis c'est tout !
Fred